Cool. Cet adjectif vient immédiatement à l’esprit dès lors qu’il s’agit de présenter le chef Jeff Antus. Un parcours atypique avec des changements de trajectoire successifs, des mets diversifiés, fruits de son désir d’allier inventivité et simplicité… Le Guadeloupéen se laisse avant tout guider par sa passion pour la cuisine, mais aussi et surtout sa volonté farouche de conserver une grande liberté.
Dans cette interview-fleuve accordée à Foodîles, le chef Jeff Antus est notamment revenu sur les grands moments de sa carrière de cuisinier amateur à professionnel expérimenté et reconnu. Pour commencer, il a expliqué comment son goût d’être derrière les fourneaux s’est développé alors qu’il était encore tout jeune.
Jeff Antus : Ma mère cuisinait bien et très souvent. Les premiers nems que j’ai mangés étaient faits maison ! Ma grand-mère était une pâtissière indépendante. Elle vendait ses gâteaux dans une vitrine devant chez elle à Port-Louis et aussi sur la plage. Elle préparait notamment un excellent gâteau cacahuète, composé de génoise, de crème au beurre et, sur le dessus, beaucoup de cacahuètes concassées de différentes tailles. Mon autre grand-mère cuisinait de tout. À la maison, nous avons été éduqués à bien manger.
J’ai toujours voulu faire de la cuisine. J’observais beaucoup la préparation des plats, je goûtais et j’apprenais ainsi. Lorsque j’étais au collège, tous les mercredis après-midi, comme nous n’avions pas école, je réalisais des crêpes en secret. Au départ, tu as de la farine, des œufs, cela ne ressemble à rien. Et ensuite, tu construis quelque chose de physique. C’est presque magique. Quand ma mère rentrait du travail, elle n’en trouvait pas. Il ne restait que l’odeur des œufs ! (rires)
Compte tenu de votre passion, pourquoi n’avez-vous pas choisi la cuisine dès le départ ?
J.A : Dans les années 80, cuisinier n’était pas la profession de rêve pour la famille. C’était plutôt considéré comme une voie de garage. J’ai donc choisi d’être ingénieur dans l’agroalimentaire, afin de rester connecté avec ce que j’aimais.
À l’âge de 23 ans, j’ai occupé mon premier poste à responsabilités dans une entreprise située à Pierrelatte, dans la Drôme. Celle-ci produisait des champignons et des légumes surgelés. J’étais responsable de projets d’innovation internationaux, les produits et les emballages venant de différents pays. J’y suis resté pendant quatre ans. À y repenser, ce process n’avait pas vraiment de sens, ni d’un point de vue écologique, ni en termes d’échelle.
En 2011, vous avez participé à Masterchef, concours de cuisiniers amateurs à grande audience, à l’époque diffusé sur la chaîne nationale TF1. Qu’en retenez-vous ?
J.A : J’ai suivi le conseil d’un collègue qui trouvait que j’avais du talent et je me suis inscrit à l’émission. J’avais déjà pour projet de rentrer en Guadeloupe et de me reconvertir dans la cuisine. Une seconde sur TF1, je ne pouvais pas me la payer. J’ai dit à ma femme que si j’en obtenais deux ainsi, ce serait déjà le jackpot. (rires) Au final, j’ai fait partie des 21 sélectionnés et j’ai figuré dans trois émissions en prime time (ndlr : heure de la plus grande écoute). J’ai ensuite effectué une bonne communication, ce qui m’a permis de rentrer en Guadeloupe en n’étant pas un inconnu. Cela a été un bon tremplin.
Selon vous, pourquoi votre profil a-t-il autant séduit et été mis en avant dans l’émission ?
J.A : Quand tu fais de la télévision, il faut savoir comment cela fonctionne. Les producteurs cherchent souvent des profils intéressants qui conviennent à leur scénario. Tu as intérêt à leur raconter une histoire qui va les captiver. Par exemple, la première émission avait pour thème poulet barbecue. J’ai utilisé des produits tropicaux, expliqué que c’était comme si je faisais mon marché à Pointe-à-Pitre et cela leur a beaucoup plu.
J’ai participé à Masterchef pour le « fun », sans prendre tout cela au sérieux, sans avoir préparé quoi que ce soit, contrairement aux autres. Le soir, j’apprenais en même temps qu’eux. (rires)
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Grand amateur de porc
« J’aime bien manger des mets traditionnels. Quand il y a du porc sur une carte, 90% du temps, j’en prends et je suis rarement déçu. J’aime bien aussi tout ce qui est marin, le chatrou par exemple. »
« Mon plat préféré ? Tu me donnes du cochon roussi, des pois d’angole et des ignames, je suis bien ! (rires) Je n’en mange qu’à Noël, j’attends le jour avec impatience. Je préfère attendre cette période, pour éviter de m’en lasser, d’être blasé. »
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En 2011, vous conjuguez votre retour en Guadeloupe avec une reconversion professionnelle. Pourquoi avoir opté pour un food-truck nommé Délices du Papillon ?
J.A : Mon expérience professionnelle en tant qu’ingénieur dans l’agro-alimentaire m’avait donné envie de revenir à une activité à une plus petite échelle, à la simplicité. J’ai donc décidé d’ouvrir un food-truck en proposant d’autres mets que les bokits habituels.
Cela a été agréable de travailler en couple, avec ma femme Aurélie, mais aussi intense parce que cela fonctionnait bien. Nous préparions tout au laboratoire, si bien qu’une fois dans le food-truck, nous pouvions profiter des gens, échanger avec eux. Après avoir vécu dans l’hexagone, j’ai aimé pouvoir être non loin de la plage et avoir cette impression de ne pas vraiment travailler.
Après trois années d’activité, vous avez choisi d’ouvrir votre restaurant à Jarry à Baie-Mahault. Quelle a été votre motivation ?
J.A : Avec le food-truck, j’étais limité dans ce que je pouvais faire, j’étais un peu frustré. Ma femme et moi avons donc décidé d’ouvrir un restaurant. Je n’avais jamais fait ça de ma vie ! Le premier jour d’ouverture, pour mon premier service, j’avais le sentiment de jouer à la marchande. (rires)
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ? Quelles ont été vos sources de satisfaction ?
J.A : Le plus difficile a été de tout chapeauter. Nous n’étions plus à deux, nous devions gérer une équipe. Cela a été la partie la plus délicate, car tout en t’attachant aux gens, tu dois rester leur manager. Le restaurant reste un business et le but est de gagner de l’argent.
J’ai eu nombre de satisfactions. J’ai rencontré beaucoup de gens intéressants. Je suis passé de cuisinier amateur à professionnel. Ce n’est qu’après que j’ai réalisé que cela avait été dur. Quand tu es dans l’action, tu fonces, tu ne regardes pas derrière toi. Tu te fixes un objectif et lorsque tu l’as atteint, tu t’en fixes un autre. Grâce à mes connaissances, j’ai toujours pu bien rentabiliser les marchandises. Dès le début, j’ai essayé de faire du zéro déchet en utilisant au maximum les produits.
Au départ, notre restaurant, c’était 23 couverts. Après quelques travaux, nous sommes passés à 32 couverts. La clientèle a dès le début été au rendez-vous.
Pourquoi avoir fermé cet établissement en 2021 ?
J.A : Cela faisait sept ans que j’étais dans le même établissement, je réfléchissais à ce que j’allais faire de différent. Je pouvais ouvrir un deuxième restaurant plus grand dans le même secteur, mais la crise Covid-19 a débuté et je me suis demandé si je voulais faire un investissement aussi important et prendre beaucoup de risques. J’ai préféré opter pour une autre activité. Je ne regrette pas mon choix, car je fais toujours ce que j’aime. Simplement, je n’ai pas à aller tous les jours dans mon restaurant.
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Le chef Claude Strazel comme modèle
« J’ai beaucoup appris dans les magazines, en lisant les écrits des chefs étoilés. Puis, j’ai rencontré Claude. J’ai bien regardé ce qu’il faisait en cuisine, son esprit, sa manière de travailler m’ont beaucoup inspiré. Mon mentor en Guadeloupe, c’est forcément lui. Je suis allé le voir à La Table de Léna (ndlr : restaurant à Baie-Mahault) qui a récemment ouvert et cela m’a fait plaisir de voir qu’il était content. »
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« Une cuisine marine et simple »
« J’essaye d’être dans la simplicité. Ce que j’aime faire, ce qui est moi-même, ce sont les mets simples. J’utilise des produits que tout le monde connaît, qui sont à notre portée. Cependant, je peux aller loin. Avec un seul poisson, je peux faire des filets, des darnes, mais aussi utiliser la ventrèche, les ailes, la tête, les joues, la queue. Tout cela est différent et représente un panel assez large. J’aime voir que ma poubelle est vide, car cela signifie que j’ai cuisiné et vendu tout ce que j’ai acheté. »
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Qu’est-ce qui vous a amené à lancer Chef à Kaz, votre service de chef à domicile, en 2021 ?
J.A : Quand tu es dans un restaurant, tu es dans un format précis, parce que les gens ont des attentes et tu cherches à les satisfaire. Je voulais plus de liberté. Après la fermeture de Délices du Papillon, j’ai donc lancé Chef à Kaz pour proposer trois types de services :
- chef à domicile : je cuisine et j’assure le service chez mes clients (4 à 10 personnes)
- en livraison : je prépare les commandes dans mon laboratoire et les livre ensuite
- dans les établissements : j’interviens pour permettre la concrétisation d’événements culinaires.
Je ne cherche pas à m’axer sur une activité plus qu’une autre. Je laisse venir les prestations… Je ne me mets pas la pression, car je crois que dans la vie, en ouvrant les yeux, tu as des opportunités.
Vous êtes basé à Port-Louis. Pourquoi ?
J.A : C’est chez moi, c’est l’endroit où je me sens le mieux. De plus, nombre de mes fournisseurs sont sur place. Ma famille, la mer sont très proches, ce qui est très important pour moi.
Vous souhaitez aussi vous lancer dans l’agro-transformation. Dites-nous en plus.
J.A : Je veux croiser les deux expériences majeures de ma vie : la cuisine et l’industriel. J’aimerais développer une gamme de produits à destination de la restauration : des jambons de poisson pélagique à trancher devant les clients, des petites croquettes de bananes jaunes, des croustillants de poisson, des tapas, etc. Je veux proposer des mets locaux que les gens ne pourront trouver qu’ici. Concrétiser ce projet nécessite du temps et je ne suis pas pressé. Je ne me mets plus la pression, j’essaye de me faire plaisir en premier.
Propos recueillis par Mylène Colmar
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Sa plus grande satisfaction ? Sa longévité !
« Je fais partie des rares à toujours exercer dans le domaine après l’émission Masterchef à laquelle j’ai participé. Sur la centaine de candidats du début, une poignée de dix continue. Sur les dix, cinq sont en milieu professionnel. Je suis très satisfait d’avoir pu tenir jusque-là, alors que je suis parti de quasi rien. »
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Projet à long terme : ouvrir un restaurant
« Je viens de lancer Chef à Kaz et je ne me projette que sur la fin de l’année. »
« J’aimerais ouvrir un jour un nouveau restaurant. La première contrainte est qu’il se trouverait dans un secteur proche de là où je vis. Il faudrait qu’il corresponde à l’environnement des produits que je travaille. Mon projet comporte donc beaucoup de paramètres. Par exemple, cet établissement serait ouvert du jeudi au dimanche. Pas plus ! Il faudrait que je m’y sente comme chez moi, que cela soit un lieu cool. »
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Une déclaration ?
« Merci à tous les gens qui continuent de me suivre. J’ai des clients que je connais depuis le camion. Ils continuent à commander. J’ai fait leur anniversaire, d’autres événements avec eux. Merci à eux de me faire confiance tout le temps. C’est assez touchant de voir cela ! »
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- Instagram : @antus_jeff
- Facebook : Jeff Antus
- Site : jeffantus.com