Non, ce n’est pas un chef, mais un as de la chips,
un maître dans l’art de la fabriquer avec des produits locaux et de la faire rimer avec saveurs et qualité. Jean-Yves Carmasol, la tête et les bras derrière les chips Papita Gwada, fait partie
de ces acteurs du monde culinaire œuvrant dans l’ombre qui méritent d’être mis en lumière. Son succès, il l’a construit à force de créativité, de savoir-faire et de détermination aussi.
Des embûches qu’il a surmontées aux projets qu’il entend concrétiser, le Guadeloupéen est l’exemple même de ces artisans devenus des « machines » que rien ne peut arrêter.
Pourquoi Papita ?
« En Haïti, on appelle la banane Papita. C’est un nom qui est très apprécié dans ma famille et qu’on a voulu mettre en avant quand nous avons démarré notre projet. » Dans le pays caribéen voisin, les bananes plantains sont utilisées pour fabriquer des chips vendues principalement dans la rue.
Des énergies renouvelables dans l’hexagone à la chips produite en Guadeloupe… Le parcours de Jean-Yves Carmasol, c’est l’histoire d’un retour au pays en 2012 mûrement réfléchi, bien préparé et malgré tout effectué non sans difficulté, mais finalement bien réussi. Avec Papita Gwada, l’agro-transformateur est devenu un entrepreneur à succès, mais a encore beaucoup d’ambitions en tête. Focus.
Enfant, Jean-Yves Carmasol regardait bien ses parents cuisiner, aidait parfois à éplucher les lé- gumes, mais pas plus. Quand il s’est mis à son tour derrière les fourneaux à 27 ans, il a com- mencé par aider sa mère, au lancement des chips Papita. « J’ai trouvé cela assez passionnant et depuis, je cuisine beaucoup », assure-t-il. Toutefois, il n’a jamais envisagé de faire des études dans le domaine. « Je me suis inscrit à un CAP électrotechnique sur les conseils du personnel enseignant. Et même si j’ai obtenu mon diplôme, je me suis vite dit que l’électri- cité, ce n’était vraiment pas pour moi ». Il a alors « exercé une multitude de métiers » avant de trouver sa voie.
« J’avais 27 ans quand je suis parti »
En 2000, il quitte la Guadeloupe pour s’installer à Lyon et décide de suivre une formation d’anima- tion professionnelle pendant 12 mois. Dès la fin de son apprentissage, il trouve tout de suite un travail au sein de Hespul, une association spécia- lisée dans les énergies renouvelables. Une étape qui l’a profondément marqué : « Hespul est une référence dans le domaine, la première associa- tion à avoir installé une centrale photovoltaïque raccordée au réseau en France en 1994 ». « Au sein de cette structure, je faisais de la sensibi- lisation sur les énergies renouvelables auprès d’enfants du primaire au lycée et je conseillais les particuliers, les collectivités, concernant les économies d’énergie. Cela m’a passionné ! Les énergies renouvelables, c’est vaste, et en plus,
à l’époque, cela commençait à se démocratiser. J’étais dans mon élément ! »
« L’heure était arrivée de rentrer au pays »
Lui qui ne pensait rester que deux ans dans l’hexagone y aura vécu finalement 10 années de plus. Cependant, Jean-Yves Carmasol a tou- jours gardé dans un coin de sa tête ce projet de retourner dans son île natale. « Je revenais en Guadeloupe, tous les ans, voire deux fois par an, pour les vacances. J’aidais à chaque fois ma mère à confectionner ses chips, si bien qu’elle a très vite pensé à moi pour lui succéder. De mon côté, je me voyais bien reprendre l’activité, parce que cela me plaisait et j’avais perçu le poten- tiel de développement. Néanmoins, il n’était pas question pour moi de rester au stade très artisa- nal de l’époque. »
Le déclic lui est venu en 2008. « J’avais un em- ploi qui me plaisait, un excellent cadre de travail, mais je ne m’imaginais pas finir ma vie là-bas. J’ai expliqué à mon patron que je souhaitais faire une reconversion professionnelle et, afin de pré- parer mon retour dans l’archipel, j’ai effectué une formation en agriculture et maraîchage di- versifié biologiques durant neuf mois, en 2010. »
« J’ai tout laissé, sans un regard en arrière »
En novembre 2012, Jean-Yves Carmasol pose définitivement ses valises en Guadeloupe, avec une idée en tête : « Je voulais me lancer dans l’agriculture, en collaborant avec un exploitant vivant à Morne-à-l’Eau. Nous devions acheter des terres agricoles, mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Je me suis retrouvé seul avec moi-même, à devoir batailler. Heureusement, j’avais quelques économies de côté. Entre temps, j’avais recommencé à travailler avec ma mère et son compagnon pour produire des chips Papita. Ils m’ont proposé de gérer l’acti- vité pendant une année ». Il accepte ce test qui s’avèrera concluant.
« Famille ou pas, moi, j’achète »
Devenu gérant de Papita, Jean-Yves Carmasol produit pendant six mois des chips de banane, avant de franchir une étape décisive : la diversifi- cation des saveurs. « J’ai décidé de faire des chips à la patate douce, au fruit à pain, au kamanioc… Et rapidement, le bouche à oreille a fonctionné. Je n’ai jamais eu à démarcher un seul client. Jusqu’à ce jour, ce sont les gens qui m’appellent pour acheter mes produits. »
Une fois l’année-test achevée, fort des succès en- registrés, lui n’a qu’une question : « Combien cela me coûtera pour racheter l’entreprise ? Je voulais voler de mes propres ailes. Quand la procédure a été finalisée, j’étais le plus heureux. »
« Je travaille sans relâche »
Dès 2014, l’entrepreneur effectue les investis- sements nécessaires pour acheter les matériaux pour moderniser les locaux et faire en sorte que l’activité de production de chips plus compéti- tive. « Au fil des années, j’ai continué de dévelop- per ma clientèle. Ma principale difficulté est que je suis tout seul, même si quelques personnes m’aident de temps en temps. Je travaille de 6 heures à 17, voire 18h, presque tous les jours. Ce n’est pas toujours évident. »
« Les messages des clients me boostent »
Il y a un an, l’agro-transformateur souhaite struc- turer davantage son entreprise pour faire face à une demande croissante. « Je devais le faire début 2020, mais malheureusement le virus Covid-19 est arrivé. J’ai vécu une période de calme, avant que cela reprenne à partir de novembre avec le retour des touristes. Durant cette période, mes clients continuaient de m’appeler et j’ai ainsi pu constater que les Guadeloupéens consomment beaucoup mes produits. Cela m’a donné encore plus envie de m’accrocher. »
Motivé, Jean-Yves Carmasol veut notamment acheter des équipements et embaucher, mais comme nombre d’entrepreneurs, il aurait be- soin d’être accompagné afin d’effectuer les dé- marches nécessaires, de bénéficier des dispositifs proposés aux acteurs de sa filière. Du fait de ses journées chargées, lui ne dispose pas de beau- coup de temps pour s’y consacrer. « J’espère que la Chambre des métiers s’impliquera davantage auprès d’entrepreneurs comme moi. »
« Je suis un éternel insatisfait »
L’artisan veut proposer de nouveaux produits. « Je travaille sur la conception de chips épicées, sur différents types de parfums », précise-t-il. Quant à l’export, si la demande est là, il y réflé- chit, mais entend surtout prendre son temps. « Je ne veux pas aller plus vite que la musique. Je préfère avoir 10 clients et tenir la route, plu- tôt qu’avoir 100 et les décevoir. La priorité est de pouvoir produire plus tout en conservant la qualité. »
Mylène Colmar