Par Hélène Migerel
L’enfance où tout se joue. La joie, la découverte des plaisirs, l’apprentissage à aimer non seulement les gens mais les choses, l’appréciation de tout, le beau, le bon, même dans l’excès, selon la guidance subtile de ceux qui ont pour mission d’éduquer.
Dans toutes les cultures, le goûter est offert aux petites bouches impatientes de déguster cette nourriture qui échappe à l’obligation d’être avalée comme à table, au moment du repas. Dans le jardin, sur la plus haute marche séparant les deux cours, assis en tailleur par terre, sous la véranda, chacun prenait ses aises là où il le décidait. Le droit de gratter le fond de la casserole de confiture, récompense hautement convoitée, restait le privilège d’une bonne conduite. La surprise donnait un attrait de plus à ce quatre heures, qui semblait être une improvisation quotidienne.
Le salé ou le sucré, n’était pas codifié, hormis le dimanche après-midi quand la marchande sillonnait le quartier, panier au bras, s’arrêtant à chaque porte pour vendre le gâteau au beurre par portion. Les parents ne s’en privaient pas. La limonade qui colorait la langue en vert, rouge, orange, celle à l’anis exceptée, depuis le matin était mis au frais. Le docoune venait des Saintes, une fois par semaine le jeudi, il rappelait un peu le maïs cuit dans de l’eau salée, dont le trognon était sucé. La cassave de manioc trempée dans du lait ou du chocolat, la crème de lait étalée sur du pain saupoudrée de sucre l’usine, ou le fromage vache qui rit ou le saucisson dont la barde de cire se terminait par une médaille, nous régalaient après l’école. Toutes les confitures/maison rivalisaient d’odeur, goyave, tamarin, mangue, coco. Seule la marmelade de goyave était achetée, enveloppée dans du papier de conservation.
La châtaigne a laissé dans ma mémoire une sensation inoubliable, due sûrement au plaisir différé : il fallait d’abord enlever l’écorce incisé au préalable avant cuisson, puis la débarrasser de sa pellicule avant de l’engloutir encore tiède, yeux fermés pour une meilleure appréciation gustative. Le soleil se parait alors de rayons orangés avant de se coucher en accord avec l’estomac repu et satisfait.
Les palais adultes n’ont rien oublié de la succulence de ces moments d’antan. Les faire revivre ont été nécessaires en les partageant autour d’une table de façon ordonnancée avec des amies émerveillées. Les glaces aux multiples saveurs à base d’excellents produits locaux, les pâtisseries diverses, sont chaque fois une rencontre sublimée avec les papilles de dames d’âge aux années enfuies. A chaque occasion, nappe dressée, le génie créateur de Fabienne Youyoutte, premier artisan de France, comble notre gourmandise, avec l’interdiction d’évoquer tour de taille et balance mensongère. Le docoune actuel sorti de son atelier est un gâteau où le coco prend ses aises, juste ce qu’il faut. Mais le raisonnable est écarté de la pensée dans un face à face avec sa dernière invention : le macaron au gros thym. Extraordinaire délice d’onctuosité, de parfum subtil mêlant le connu et l’insolite, de surcroit doté de bienfaits pour la santé.
Aujourd’hui, les goûters ont perdu le charme de la surprise, nos yeux s’en remplissent en pénétrant le palais des délices. Ils ont d’autres atouts : ils s’adaptent à l’évolution du goût. Alors pourquoi s’en priver ?
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Hélène Migerel est une psychanalyste, Docteur en Sciences Humaines, auteur et réalisatrice guadeloupéenne.
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