Sa vanilleraie, située au sein de la forêt départementale domaniale Grande Habituée à Sainte-Rose, Cédric Coutellier en parle avec passion et précision, en raconte l’histoire, de manière à la fois simple et captivante, en alliant faits techniques et anecdotiques. Visiter le cœur de Vanigwa, avec son créateur comme guide, vaut vraiment le déplacement et la matinée passée dans les sous-bois.
Qui l’eût cru ? Cédric Coutellier a commencé à faire pousser de la vanille dans son jardin. C’était en 2005, soit sept ans après son arrivée en Guadeloupe. Puis, en 2008, il a pu se professionnaliser en louant une parcelle d’un hectare à l’Office National des Forêts (ONF), qui gère la forêt domaniale et encadre les projets d’agroforesterie mis en œuvre. Par la suite, il a repris l’exploitation d’un agriculteur prenant sa retraite, si bien que sa vanilleraie s’étend aujourd’hui sur sept hectares.
Une fois installé, il a fallu que Cédric Coutellier fasse preuve d’une grande patience pour vivre de son travail. « J’ai touché mon premier revenu après six ans. J’avais tout misé sur cette activité, si bien que j’ai galéré durant les premières années », indique-t-il au début de la visite guidée. L’agrobiologiste a passé d’innombrables heures à préparer sa concession en respectant le cahier des charges strict de l’ONF qui interdit notamment de couper les arbres (sauf exceptions, comme un arbre tombé après le passage d’un cyclone) ou encore d’utiliser des intrants chimiques. « L’objectif est d’exploiter sans perturber l’écosystème de la forêt. Cela me convient, car toutes ces contraintes constituent en réalité des atouts qui nous permettent d’obtenir un produit de grande qualité », assure-t-il.
Reconnaissance nationale
Autre élément qui permet d’expliquer ces six années d’attente : la vanille prend énormément de temps à donner des fruits. « Elle fleurit à partir de la quatrième année et produit jusqu’à la septième, voire huitième année et ensuite la production chute », affirme Cédric Coutellier. Tout est donc affaire de patience avec cette plante dont il faut cueillir les gousses à maturité, après neuf mois, afin d’être assuré d’avoir un taux très élevé de vanilline (ndlr : la substance aromatique présente dans les gousses). Ensuite, il faut laisser le temps aux gousses de sécher, pendant un, deux mois.
Cependant, le produit final obtenu est exceptionnel. En effet, la vanille de Cédric Coutellier est magnifique, 100% biologique, avec un taux moyen de 2,9 de vanilline, alors que « dans l’Océan Indien, ils sont contents lorsque le taux est de 1,5 ». La qualité est telle que l’agriculteur a remporté à l’unanimité la médaille d’or dans sa catégorie (Vanilla Fragans planifolia) dans le cadre du Concours général agricole, lors du Salon de l’Agriculture en 2020. Une récompense qu’il ne s’attendait pas à décrocher, mais compréhensible au vu des méthodes traditionnelles employées, à la fois respectueuses de l’environnement et gages d’excellence.
Texte Mylène Colmar. Photos Philippe Hurgon.
Focus sur l’APAGwa
Cédric Coutellier est membre de l’Association de promotion de l’agroforesterie de Guadeloupe (APAGwa) qui compte une centaine d’adhérents. « Tout le monde n’est pas en forêt publique, puisque certains cultivent chez eux ou dans des forêts privées », précise-t-il. Vanille, café, cacao, poivre, fleurs coupées, plantes aromatiques et médicinales font partie des multiples produits qu’il est possible d’obtenir dans le cadre d’un projet d’agroforesterie.
4 faits historiques
- « La seule vanille présente en Guadeloupe avant les Amérindiens est la Vanilla mexicana, découverte au Mexique. Cependant, elle n’a aucun intérêt en termes de valeur aromatique. De plus, comme elle est très sauvage, nous n’arrivons pas à en faire des boutures. »
- « Au-delà d’avoir inventé le rhum, le Père Labat était le botaniste de l’époque (ndlr : fin XVIIe, début XVIIIe). Dans un de ses livres, il a expliqué avoir récupéré des plantes en Guyane qu’il a ensuite apportées en bateau dans l’arc antillais. Parmi celles-ci, deux variétés de vanille : la grande vanille et le vanillon. À chacune de ses escales, il en déposait. Ainsi, la vanille est présente dans des endroits où personne ne s’en est occupé. Dans d’autres, ils l’ont considérée comme un parasite et l’ont brûlée. Par contre, la Guadeloupe, la Martinique, la Dominique et Montserrat en sont devenues des producteurs. »
- « Jusqu’en 1927, la Guadeloupe a été un des plus gros producteurs de vanille au monde, devant le Mexique. À cette époque-là, elle était capable d’exporter plus de 40 tonnes de vanille noire par an, soit presque la moitié de la production mondiale qui s’élevait à 90 tonnes. »
- « En 1928, un cyclone a ravagé toute la Basse-Terre, faisant 3000 morts. Les habitations produisant café, cacao et vanille ont été détruites. Les agriculteurs ont dû migrer sur la Grande-Terre et, pour des raisons économiques, se sont mis aux productions à cycle court, comme la banane, la canne ou le melon. »
1 – La visite débute à l’entrée de la forêt secondaire sainte-rosienne qui a seulement une cinquantaine d’années. C’est à la fin des années 60 que l’ONF a mené un projet de reboisement de terres défrichées aux sols lessivés, en plantant le Mahogany, un arbre caribéen, réputé imputrescible, avec pour objectif de produire du bois d’œuvre.
2 – Très nombreux dans la forêt, les arbres Mahogany sont difficiles à exploiter. À cause des champignons et d’autres facteurs, un tiers du bois coupé est perdu. Cependant, d’autres arbres et plantes ont également poussé, si bien que l’écosystème, quasi identique à celui de la forêt primaire, est sain pour faire pousser de la vanille.
3 – Cédric Coutellier a suivi la formation d’agroforesterie tropicale de l’ONF afin d’acquérir les connaissances indispensables pour mener à bien son projet. Il a aussi beaucoup échangé avec des anciens pour acquérir certains savoirs traditionnels bien gardés.
4 – La vanilleraie de Cédric Coutellier compte près de 3500 arbres. Sur nombre d’entre eux, poussent deux espèces de vanille, originaires du continent américain : la Vanilla planifolia (plante en zigzag) et la Vanilla pompona également appelé vanillon (plus droit).
5 – La plante monte naturellement sur le tronc pour aller chercher la lumière du soleil.
6 – Seul un pied sur 5 fleurit et donne en moyenne 250 grammes. Ce faible rendement explique que la production locale soit aussi peu élevée, d’autant qu’il n’y a que 15 producteurs de vanille en Guadeloupe.
7 – « Le jour où nous produirons 2,5 tonnes de vanille par an, ce sera déjà bien », dixit Cédric Coutellier.
8 – Cédric Coutellier propose une vanille biologique, vendue en gousse noire, transformée par scarification avec un affinage d’environ neuf mois. Il ne vend pas au kilo, mais par sachet de 3 gousses ou tube de 2 gousses.
- Site : vanigwa.com
- Facebook : @vanigwa
- Instagram : @coutelliercedric